28 - Le Grizzly et le Poussin

Cette histoire s'est passée il y a longtemps dans une ferme dans le nord des États-Unis d'Amérique près des Montagnes Rocheuses. l'activité principale de la ferme en question était l'élevage de moutons pour la production de laine (car au nord des États-Unis il fait assez froid l'hiver donc plein de gens ont besoin de grosses chaussettes, de moufles ou d'écharpes. Malgré cela Il y avait dans cette ferme un petit poulailler avec un coq, trois poules, et plein de petits poussins (97 pour être exact). Le dernier-né de cette grande famille s'appelait Toto et avait l'age de 5 jours. Vous me direz "quel drôle de prénom avait ce petit poussin!". Mais imaginez-vous devoir inventer 97 prénoms pour vos enfants! Évidemment, les premiers poussins de la famille avaient des prénoms sophistiqués (Emmanuel-André, Jean-François, Marie-Antoinette, etc.) mais plus il naissait de poussins, plus les prénoms devenaient simples (Michel, Max, Jacky ...). A partir de 90 poussins les parents des petits ont épuisé toute leur imagination donc les derniers n'ont eu droit qu'a "Tutu" ou "Titi" ou encore "Roro" qui était l'avant-dernier né devant Toto.
Le septième jour de sa vie, Toto se promenait dans la cour avec ses autres 96 frères et sœurs, quand le vent a commencé à se lever. Les mamans-poules se sont tout de suite inquiétées et ont commencé à rappeler les petits poussins dans le poulailler. Comme les poussins étaient encore tout petits, ils ne brillaient pas encore par leur intelligence, donc les mamans-poules devaient les appeler chacun par son prénom. Elles ont évidemment commencé par les premiers, et le temps qu'elles arrivent jusqu'à Toto, le vent est devenu si fort qu'il a levé le petit Toto en l'air...

Au début Toto était content de voler, lui qui avait toujours été jaloux des pigeons et autres moineaux qui volaient de partout. Il a même crié "Regarde Maman, je vole! J'ai appris à voler avant tout le monde!". Puis il a voulu redescendre, mais le vent le poussait de plus en plus loin de la ferme et du poulailler, c'est à ce moment là que Toto a commencé à avoir peur...

Le vent a porté le petit poussin sur plusieurs kilomètres encore, avant d'arriver vers les montagnes et faiblir petit à petit. Le poussin est tombé droit dans la foret, mais il ne s'est pas fait mal car d'une part il était très léger, comme une boule de duvet, et d'autre part le sol était recouvert d'une épaisse mousse.

Il faisait encore jour mais Toto était fatigué alors il a cherché un endroit pour dormir. Il a vu une grotte au pied d'une grande montagne, au bord d'une rivière et décidé de s'y réfugier pour la nuit. Il est allé au fond de la caverne dont le sol était tapissé de squelettes de poissons, mais Toto était encore trop jeune pour reconnaître les poissons morts alors il n'y a pas prêté attention et il s'est vite endormi au fond de la grotte...

"Tu t'appelles comment?.."

Toto a dormi ainsi pendant de longues heures. Au réveil il a senti la même odeur qui régnait partout dans la grotte lorsqu'il était arrivé, mais encore plus forte. Il a ouvert les yeux... et il a vu une montagne de poils marron avec une tête au milieu qui le regardait avec deux petits yeux noirs et qui lui soufflait dessus avec son nez. C'était un énorme ours Grizzly qui était rentré de sa chasse aux saumons dans la rivière et dévisageait le poussin avec l'intention de le manger tout cru...

Heureusement pour Toto, comme nous l'avons mentionné, l'ours venait de la chasse particulièrement fructueuse donc il n'avait pas faim et il n'a pas mangé Toto de suite. En même temps Toto, qui était encore très naïf, ne se rendait pas compte du danger qu'il courait. Bien au contraire, il était très intéressé par le grand animal devant lui.

- "Comment tu t'appelles?" a-t-il demandé à l'ours.

Le Grizzly qui s'attendait à tout sauf une réaction comme cela de la part du petit bout de duvet jaune devant lui. Et il a répondu:

- "Max... et toi?".

- "Moi c'est Toto et je suis un petit poussin. Et toi tu dois être un loup, n'est-ce pas?".

Devant une telle ignorance notre Grizzly est resté sans parole pendant une minute. Il n'imaginait pas qu'il pouvait y avoir un animal ou un oiseau qui non seulement n'avait pas peur du grand grizzly le roi des Rocheuses, mais qui en plus ne savait même pas qui il était.

- "Non, je suis un ours, un ours Grizzly" - a-t-il enfin pu répondre.

Cette innocence a tellement ému le grand ours qu'il a décidé finalement de ne pas manger le poussin tout de suite, mais au moins d'attendre qu'il grandisse un peu...

Ainsi le petit poussin s'est installé dans la caverne du Grizzly. L'ours montrait à Toto comment il chassait les saumons et le poussin apprenait à Max différents fruits et légumes, car évidemment il n'était pas carnivore. Ils s'attachaient de plus en plus l'un à l'autre et au bout de deux semaines ils sont devenus de vrais amis inséparables.

Malgré tout, les parents du petit poussin commençaient à lui manquer et un jour il a proposé à Max d'aller avec lui à la ferme où il était né. Max a accepté avec joie car il en avait un peu marre de chasser des saumons dans la rivière froide. Il s'est dit qu'un petit régime de racines et de baies pendant le voyage ne lui feraient pas de mal après tout...

Les préparatifs au voyage ont été extrêmement courts: le gros ours a mangé autant de saumons qu'il a pu, au cas où cela lui manquerait, et le poussin est allé se rafraîchir dans la rivière. Ils sont partis à l'aube, l'ours à pied et le poussin sur son dos pour regarder le chemin et guider Max...

"Le retour à la ferme"

Toto avait une bonne mémoire et il se souvenait assez bien du chemin qu'il avait parcouru porté par le vent. En revanche, la vitesse d'un Grizzly à pied est très inférieure à celle d'une tempête, alors le voyage de retour a duré plus de trois jours, alors que l'allée n'avait pris que deux heures.

Au bout de trois jours, alors que Max commençait déjà à fatiguer et à se demander si Toto connaissait vraiment la route, ils ont senti une odeur de barbecue et le bruit de musique: il y avait une fête dans la ferme. Le poussin avait hâte de courir retrouver sa famille, mais l'ours était plus hésitant.

- "Qu'est-ce qui t'arrive Max?"

- "Non, rien, c'est juste que l'année dernière j'ai volé un mouton dans cette ferme et ils m'ont tiré dessus avec un gros fusil alors je ne voudrais pas que ça recommence".

Ils ont alors convenu que Toto irait voir les poulets à la ferme, profitant du fait que les humains soient occupés par leur fête, et Max resterait pas loin dans la forêt. Ils devaient se retrouver dans deux jours.

En arrivant à la ferme le cœur de Toto battait très fort, il courait de toutes ses forces, il criait "Maman, Papa, Emmanuel-André, Jean-François, ... , Michel, ... , Tutu!" - il n'avait pas oublié un seul prénom de ses frères et sœurs. Mais, curieusement, personne n'a répondu à ces appels. En rentrant dans le poulailler il a vu ses parents et leurs autres enfants. Tous étaient tristes et ne disaient rien. Le pauvre petit Toto a mis un certain temps pour compter les enfants et se rendre compte qu'il n'y en avait que 94 au lieu de 96.

- "Mais où sons passés Max et Michel?" - a-t-il demandait?

- "Tu entends le bruit de la fête chez les humains? Ils fêtent l'anniversaire de leur fille, et ils ont pris Max et Michel pour les manger au dîner" - a enfin pu dire sa maman.

- "Ils ont mangé Max?! Et Michel?!!" - Toto était horrifié. Il était hors de lui. Il s'est rendu compte que le même sort attendait tous ses frères et sœurs. "Je sais ce que je vais faire" - s'est-il écrié. Puis il a fait demi-tour et disparu dans la forêt.

Il a vite retrouvé Max l'ours qui s'était endormi sur l'endroit même où ils s'étaient quittés. Il ronflait si fort et dormait si profondément qu'il se serait sans aucun doute fait attraper par le fermier et ses chiens à l'aube, dès qu'ils auraient fini de faire la fête. Toto a raconté à l'ours l'histoire triste de ses deux frères morts pour la soupe. Cela lui a pris plus de 20 minutes car il n'arrêtait pas de pleurer et se moucher. L'histoire n'a pas particulièrement surpris l'ours qui à une époque aurait bien mangé Toto mais la tristesse du petit bout de duvet l'a ému et il a pleuré de tout cœur avec lui.

Pendant près de deux jours Max et Toto n'ont pas fermé l'œil et ils ont élaboré un plan de libération des poulets de la ferme...

"L'échappée"

Le plan de libération de la famille de Toto était à la fois simple et ingénieux.

En passant devant les fenêtres de la maison des fermiers, Toto a entendu un avis de tempête une semaine plus tard. Le petit a alors décidé d'utiliser le même moyen de se déplacer que celui qui l'a amené chez Max. Il a parlé à toute sa famille et leur a demandé de manger le moins possible pendant la semaine pour être le plus léger possible. Il leur a conseillé également de s'entraîner à battre des ailes pour mieux rester en l'air au cas où le vent ne serait pas assez fort. C'est exactement ce qu'ils ont fait et les fermiers ne comprenaient pas pourquoi tous leurs poulets ont commencé à s'entraîner de manière si intense d'un seul coup.

Le jour de la tempête venu, toute la famille était excitée à l'idée de partir enfin de cette ferme. Le ciel devenait de plus en plus sombre, l'air était lourd et humide, et le vent commençait à se lever. Ils sont tous sortis du poulailler et regardaient avec impatience autour, car ils n'étaient pas très rassurés. Tout le monde sait que les poulets volent très rarement et très très mal, alors vous imaginez ce qui se passait dans leur tête à l'idée de se faire porter par un vent de tempête!

Au dernier moment, alors que le vent était déjà presque assez fort pour porter une grosse poule le fermier a failli tout gâcher. Il a vu tous ses poulets dehors alors il a bien sûr voulu les ramener au poulailler pour les protéger. Il a attrapé Tiffany - la grande sœur de Toto mais une bourrasque de vent a arraché un morceau de toit et l'a projeté sur la tête du vieux fermier qui a perdu connaissance. Toto jubilait - même la nature était de leur côté! Le premiers poulets les plus légers ont commencé à s'élever dans les airs, en battant des ailes comme ils ne l'ont encore jamais fait. Petit à petit, les uns après les autres, ils se sont tous retrouvés à voler, comme les canards migrateurs. Lorsqu'ils ont atteint la forêt Toto leur a crié de plier les ailes pour descendre et il s'est passé une pluie de poulets. En voyant cela Max le grizzly a commencé à rigoler (Il a tellement ri que pendant une semaine plus tard il avait des courbatures aux abdos).

Une fois ressemblés, tout le monde a fait une ovation à Toto. Puis les 95 petits poulets et leurs parents sont montés sur le dos de Max pour rentrer dans sa caverne. L'ours n'était pas très d'accord mais il n'avait pas vraiment le choix car sinon le voyage prendrait trois semaines vu comme les pieds des poulets sont petits par rapport à ceux d'un énorme grizzly des Rocheuses. En plus le délicieux saumon commençait à lui manquer donc il était d'autant plus pressé de rentrer.

Ainsi a été créée la première race de poulets sauvages des Montagnes Rocheuses, et la légende du grand sauveur Toto qui a fait une pluie de poulets circule encore parmi les ours du coin.

Fin