16 - Joseph et la fée belette

Il était une fois un vieux monsieur très pauvre qui n'avait pas de maison. Ses chaussures étaient pleines de trous et il pouvait passer son doigt à travers son chapeau. Toute la journée, il marchait sur les routes et traversait les villages. Les gens disaient de lui qu'il était un vagabond. Mais son véritable nom, c'était Joseph.
Un jour qu'il s'en allait ainsi le long d'un chemin, il entendit un petit cri et vit quelque chose rouler dans le fossé. Une voiture venait de renverser un animal, mais personne ne s'était arrêté. Joseph se pencha au-dessus des herbes, là où la petite bête avait disparu. Bientôt, il la trouva. C'était une belette et il semblait bien que sa patte avait été cassée.
- "N'aies pas peur, ma belle, je vais te sortir de là…" dit Joseph en la prenant doucement dans ses bras.
La petite belette tremblait de peur, mais très vite, blottie contre Joseph, elle s'endormit.

Le vieil homme habitait une pauvre cabane de bois, près de la forêt. Il ne possédait pas grand chose, mais jour après jour, il prit soin de l'animal qu'il avait trouvé. Il le soigna tendrement, lui prépara à manger sur un feu de bois et le réchauffa tant bien que mal. Petit à petit, la belette reprenait des forces et, tout en boitant encore un peu, elle réussit bientôt à refaire quelques pas. Parfois, elle se disait que Joseph aurait aussi bien pu la manger, lui qui avait toujours le ventre creux. Mais le vagabond, lui, n'y avait jamais pensé.

Un beau matin, alors que les fleurs du printemps montraient leurs premiers pétales, la belette se trouva complètement guérie.
- "Je crois que tu vas pouvoir retrouver ta liberté, ma jolie, lui dit Joseph en lui caressant le bout du nez. Tu peux à nouveau courir et sauter aussi bien qu'autrefois, mais si tu veux un bon conseil, évite de t'approcher trop des routes où il y a des voitures. Je ne serai pas toujours là pour te ramasser s'il t'arrivait un autre accident…"

La belette, en guise d'au revoir, lui lécha la main. Puis, Joseph la déposa devant la porte de sa cabane. Et soudain, sous les yeux tout ronds du brave homme, le petit animal se transforma en une fée à peine plus grande.
- "Saperlipopette ! s'exclama Joseph qui n'en croyait pas ses yeux. Je n'ai pourtant pas bu aujourd'hui. Qu'est-ce que cela veut dire ?"
La fée le regardait en riant.
- "Mais non, tu n'as pas bu, dit-elle, et je ne suis pas un rêve. Je suis la fée des terriers et tu m'as sauvé la vie. Tu t'es montré très gentil avec moi, comme peu d'hommes savent l'être avec les bêtes sauvages. Pour te remercier, je vais te faire un cadeau que tu devras garder précieusement avec toi."
Et, devant Joseph qui se grattait la tête, elle sortit de sa poche un sac bien dodu qu'elle lui tendit. A l'intérieur, il était rempli de petits pois.

- "Ce sac ne se videra jamais, lui annonça-t-elle fièrement. Chaque fois que tu y prendras un petit pois, un autre le remplacera aussitôt. Maintenant, quand tu auras faim, tu n'auras qu'à prendre l'un de ces pois et l'arroser avec un peu d'eau. Et là… Surprise ! Je te promets que ces petites graines sont capables de calmer tes faims les plus féroces…"

Joseph se demandait si la fée ne se moquait pas un peu de lui, mais il prit quand même le sac. Au moins, se dit-il, même si cette drôle de belette m'a raconté des histoires, ces petits pois me garniront joliment l'estomac le temps d'un repas.
Enfin, le vagabond et la petite fée se dirent adieu et chacun reprit sa route.

Quelques jours plus tard, le vieil homme entendit un gargouillis au fond de son ventre. C'était un bruit qu'il connaissait bien. Joseph disait que c'était une grenouille qui chantait dans son estomac, mais quand cette grenouille chantait, c'était que Joseph avait faim. Il était temps de se rappeler les paroles de la petite fée.
- "L'instant est venu de voir si cette sacrée belette m'a raconté des sornettes…" pensa-t'il en sortant de sa poche le sac de petits pois.

Ainsi que le lui avait expliqué la fée des terriers, il prit un pois dans sa main et le posa devant lui sur le chemin. Puis, il recueillit un peu d'eau dans le creux du fossé et arrosa la petite graine toute ronde et bien verte. Aussitôt, une feuille apparut, suivie d'une autre, d'une autre, et d'une autre encore… Une tige se mit à pousser très vite, avec ses branches pleines de bourgeons. En quelques secondes, la plante était devenue aussi haute que Joseph.
Le brave homme, effrayé, était allé se cacher à toutes jambes derrière un arbre. Mais tout à coup, les bourgeons se transformèrent. L'un devint un magnifique saucisson à l'ail, un autre prit la forme d'une gigantesque tablette de chocolat, un troisième laissa place à un gros fromage blanc et crémeux…

Tout autour de l'arbre, les gourmandises n'en finissaient pas d'apparaître. Un véritable manège de jambonneaux, de rôtis, de gâteaux, de fromages et de fruits tournait autour du vieux Joseph. Même la grenouille de son estomac, surprise, n'osait plus chanter.

Ce jour-là, et tous ceux qui suivirent, Joseph fit des festins dignes d'un roi. Grâce aux petits pois magiques que lui avait offerts la fée, il ne connut plus jamais la faim. Il en fit aussi profiter tous ses amis, et bien sûr, il lui arriva plusieurs fois encore de secourir les animaux blessés qu'il rencontrait sur son chemin. Quant à la petite belette, elle était devenue si prudente qu'il ne la revit jamais…